Une grande méthode du psychanalyste, c’est l’interprétation qui consiste en une ponctuation. Du temps de Saint Augustin, les manuscrits n’étaient pas ponctués. Le texte se présentait comme un ruban de signifiants continus. L’étudiant devait prononcer les mots un par un dans la lecture à voix haute. La lecture silencieuse est arrivée très progressivement et assez tard. La ponctuation a été un évènement qui a transformé la lisibilité. Dans la bible, l’absence de ponctuation est source d’ambiguïté fondamentale.

L’interprétation, c’est un mode particulier de la parole, un mode bizarre. Il faut reconnaître que l’interprétation analytique n’est pas simple. Elle est obscure, complexe et extraordinaire. Ce sont des énoncés, des façons de parler qui sortent de l’ordinaire. L’inconscient se manifeste fondamentalement de manière bizarre.

La ponctuation fixe le sens. Le sens s’altère s’il y a une mauvaise ponctuation.

La ponctuation de l’analyste est ce qui rend l’inconscient lisible dans ce que vous dites. Le psychanalyste peut prendre acte d’une affirmation : ainsi par exemple, une analysante qui déclarerait sur le divan : « je suis aujourd’hui une femme libre ». Si on interrompt la séance là-dessus, cela équivaut à un « tu l’as dit » d’autant plus insistant que le psychanalyste ne dit rien. On prend acte, on souligne. Il se peut que l’analysante remette en doute cette qualité, pourquoi a-t-il interrompu la séance sur cette phrase ? Le psychanalyste n’a rien fait si ce n’est de mettre l’analysante en position de s’entendre parler. C’est une chambre d’écho. La ponctuation peut donc changer le sens d’un énoncé.

Ponctuer la parole, c’est la traiter comme de l’écrit.

Exemple : "Si omnes consentiunt ego non dissentio". Il s’agit d’un cas fameux de phrase dont le sens change selon la façon dont elle est ponctuée (rapporté par Beauzée dans son article “Ponctuation” de l’Encyclopédie de Diderot).

En 1649, le général Fairfax, lieutenant de Cromwell, devait signer l’ordre d’exécuter le roi Charles Ier d’Angleterre. Inquiet des conséquences possibles de son acte, il prit soin de faire précéder son paraphe d’une phrase en latin sans ponctuation, ce qui en laissait le sens ouvert, à charge pour les récipiendaires de l’interpréter.

Exercice périlleux : avec une virgule devant ego, on comprend : “Si tous acceptent, moi je ne m’oppose pas”. En ajoutant une seconde virgule après non : “Si tous acceptent, moi pas, je m’oppose”. Fairfax pouvait toujours dire qu’on avait mal compris ses instructions : il avait beau être antipapiste, il n’en était pas moins jésuite. »

Ou plus simplement “C’est l’heure de manger, les enfants…” ? mais si on enlève la virgule, on fait parler l’Ogre du Petit Poucet : « c’est l’heure de manger les enfants »