En analyse, on voit apparaître le vrai fondement du votre couple.

Exemples présentés par Jacques-Alain Miller sur France Culture

Il s’agit d’une femme qui a été laissé tomber par le père à sa naissance et même avant sa naissance. Quelqu’un lui a tenu lieu de père mais elle a décidé très précocement dans sa petite enfance que « personne ne paiera pour elle ». Au fond, elle le décide contre mauvaise fortune bon cœur. Si on veut, elle assume l’abandon où elle a été laissée par un « je n’ai besoin de personne ». Voilà comment elle s’en tire. Ça l’a lancé dans sa vie dans une certaine errance.

Un jour, elle trouve un homme et s’y attache. Elle fait couple et progéniture avec cet homme. Et quel homme trouve-t-elle ? Elle trouve un homme précisément qui ne veut pas payer pour une femme. Ça lui convient évidemment car cet homme-là qui ne veut pas payer, fait écho à son « je n’ai besoin de personne ». Et entre tous, c’est avec celui-là qu’elle fait couple. De plus, c’est un homosexuel. Elle l’aime, ils s’accordent. Et la base du couple, c’est que l’un ne paiera pas pour l’autre...

Tout est bien sauf que le malheur veut tout de même qu’elle entre en analyse. Et alors dans l’analyse, nait le désir que l’autre paie pour elle. Un rêve lui revient celui d’une boutique de son enfance et elle se souvient que lorsqu’elle est allé prendre quelques marchandises chez ce fournisseur en bas de chez elle, elle disait « papa paiera ». Celui qu’elle appelait papa, c’était le substitut paternel. La voilà qui se met à désirer que l’homme, père de ses enfants, paie pour elle. Elle ne veut plus être la tortue. Mais lui reste fidèle au contrat de départ, au contrat qui était basé sur le symptôme. Il n’entend pas lâcher.

Et voilà qu’elle le déteste, qu’elle songe à le quitter et prépare son départ. Son partenaire ne moufte pas. Et conformément à sa nouvelle logique, elle lui présente des factures. Et puis, un jour, elle lui présente une facture de gaz et d’électricité de trop. Ça se révèle intolérable pour lui et il prend ses cliques et ses claques et il réclame le divorce, après avoir prévenu le gaz de France qu’il ne paierait plus les factures.

C’est évidement douloureux pour elle et on peut dire que la psychanalyse a atteint là ce qu’était la base symptomatique de ce couple. Elle a surmonté ce « je n’ai besoin de personne » mais voilà, désormais elle est divorcée. Voilà, par exemple, une vérité qui s’est découverte dans l’analyse et qui est là chèrement payé.

Un autre exemple : une jeune femme se marie avec un homme qui vivait avec sa bande de copains. Parmi ceux-ci, elle le décroche de sa bande de copains. C’est ça qu’elle voulait, surmonter les réticences d’un garçon, ses inhibitions, son extrême réticence à se lier à une femme. Parce que lui, semble-t-il, voulait rester marier avec sa pensée, avec ses mauvaises pensées. Elle a donc exercé un certain forçage pour avoir celui-là et pas un autre alors qu’elle dit qu’elle ne manquait pas de prétendants.

Le résultat c’est qu’il ne se passe pas un jour où il ne lui fasse pas payer l’établissement de ce couple sous la forme de remarques désobligeantes, des remarques qui vont jusqu’à l’injure. L’injure est quotidienne et prend des formes particulièrement crues. Ce que Freud appelait la haine de la féminité chez l’homme s’expose de la façon la plus évidente. Son entourage s’ameute, ses amis lui disent de le quitter. C’est la fameuse question « qu’est-ce qu’elle lui trouve ? ». Cette question signale le fait que le partenaire, le vrai partenaire, c’est votre symptôme. La pression est telle qu’elle se précipite en analyse.

Et qu’est-ce qu’elle découvre en analyse ? Et bien d’abord qu’elle va très bien, qu’elle prospère, qu’au lit, elle jouit parce qu’après l’injure, on baise. Elle enfante. Elle travaille. Toute la douleur est concentrée sur le fait que cet homme parfait qui l’a rend heureuse, est en même temps injurieux. C’est ça qui l’a ravage.

En analyse, elle se montre dévastée parce que lui dit ce partenaire. Et un peu plus loin qu’est-ce qui se découvre ? Avec l’aide de l’analyste, elle découvre une perspective inédite pour le sujet selon laquelle il est heureux y compris dans sa douleur. Elle découvre que la parole d’injure est justement le noyau même de sa jouissance.

Elle découvre qu’il lui faut être stigmatisé pour être et c’est d’ailleurs dans le stigmate que l’on reconnaissait, jadis, la marque de Dieu. Et si c’est cet homme-là qu’elle a voulu décrocher, c’est dans la mesure où il lui parle sous les espèces de l’injure. C’est ainsi qu’elle se sent vraiment femme.

Et pourquoi ? Il se trouve que le père nourrissait un mépris profond pour la féminité. Un mépris d’origine religieuse. Son père avait développé, dans ce rapport à son Dieu, une méfiance, une véritable haine à l’endroit de la féminité. Cet élément n’avait pas échappé à sa fille en sorte que le couple infernal commémorait le symptôme du père par l’intermédiaire du partenaire qu’elle avait voulu. Cette jeune femme jouissait de la stigmatisation paternelle. Elle pourra le quitter seulement si s’efface pour elle, l’image éternisée de son père. Ou alors, si elle cesse de désirer l’injure, peut-être que son partenaire cessera aussi de s’adresser à elle sur ce mode.