Le psychanalyste va faire relâcher les liens entre les mots et leurs sens, il fera vaciller les mots de l’analysant. Le seul fait de parler en analyse met en question les mots de son univers, ses idéaux, ses valeurs, les notions de vérité, de bien, de beauté sans qu’aucune polémique ne soit introduite par le psychanalyste. Juste susciter un écart entre les mots et la pensée. Le psychanalyste est là pour faire l’âne, pour ne pas comprendre, pour freiner le passage du mot à son sens. Déterminer pourquoi je pense ce que je pense. Comprendre que je pense, là où je ne suis pas, et ainsi s’ouvrir à l’inconscient.

L’étymologie des mots, c’est la trace que la parole comme malentendu, la trace que le malentendu laisse dans la langue. Au commencement était le verbe. Il y a un apprentissage. On vous apprend à parler comme tout le monde, c’est justement que le premier mouvement quand on est petit ce n’est pas de parler la langue de tout le monde, c’est de bricoler une langue à vous, une langue spéciale. Ce sont ces malentendus qui font des effets de sens.

Lewis Caroll s’est amusé à dénouer le sens des mots de leurs lettres. Le rêve de Carroll était celui d’une langue parfaite. Il aurait souhaité qu’à chaque mot corresponde un objet et un seul, mais cela n’est pas possible puisque le langage repose sur la métaphore et la pluralité du sens. La perfection d’une relation miroir entre le signifiant et le signifié n’existe pas.

C’est ainsi que l’usage du langage surprend Alice dans « l’Autre côté du miroir » quand elle se met à converser avec Humpty-Dumpty . Alors qu’Humpty Dumpty lui explique l’avantage de fêter les an-anniversaires car on reçoit pendant 364 jours des présents d’an-anniversaire. Il conclut « Et un jour seulement réservé aux présents d’anniversaire, évidement. Voilà de la gloire pour vous ! ». Alice lui répond alors « Je ne sais ce que vous entendez par « gloire » Humpty Dumpty lui sourit d’un air méprisant et lui répond « Quand j'utilise un mot, il signifie exactement ce que j'ai décidé qu'il signifie, ni plus, ni moins » ; à l'objection d'Alice qui demande si on peut donner autant de sens différents à un mot, Humpty Dumpty répond « la question est de savoir qui est le maître, un point, c'est tout. »

Le psychanalyste est comme Alice qui demande le sens des mots, car les mots ne signifient pas ce que l’on croit qu’ils signifient. Le psychanalyste est donc là pour faire l’âne, pour ne pas comprendre, pour freiner, ralentir le passage du signifiant au signifié, pour mettre des points d’interrogations. Cela devient une énigme. Relâcher les liens du bon sens.

Pour la psychanalyse, il n’y a pas d’ordre universel. Il s’agit de recréer un ordre dans lequel vous allez pouvoir vivre. La plupart des psys tentent de réinsérer leur patient dans le discours courant, ou donnent des grandes explications qui font tenir le monde pour retourner à la norme. Le psychanalyste, non. Il cultive la différence. Dans l’analyse, l’analysant est une exception culturelle et l’analyste l’aide à cultiver cette exception.

Deux exemples :

  1. Interprétation de Freud à l’encontre d’un de ses élèves, le pasteur Putman. Il avait une haute conscience morale, un gros surmoi. Il expose à Freud toutes les peccadilles qu’il avait pu commettre qui étaient devenues ses obsessions. Après l’avoir entendu se torturer devant lui, Freud lui dit : Enfin de compte vous êtes un criminel ! Putman fut touché. Freud avait ainsi tiré la conclusion logique de sa plainte. Ce n’est pas une affirmation, cela reste en suspens. Cette intervention de Freud l’a certainement amener à revoir ses positions. Freud aurait pu lui dire : « Ce n’est pas grave, vous êtes un type épatant, ne vous faites pas de mourons. » Freud a fait de la surenchère. Il lui a dit finalement : veux-tu vraiment dire ce que tu dis là ? Freud a ainsi posé un acte analytique. Les effets de l’interprétation analytique ne sont pas calculables, c’est un tir au jugé On voit ainsi des sujets arrivés en analyse écrasés par des significations énormes de culpabilité. Et le jeu analytique est de mettre de l’espace entre ces mots écrasant et leur sens.

  2. Dora arrive en analyse chez Freud, un peu contrainte et forcée par son père. Elle est devenue, selon lui, insupportable. Sur le divan, Dora se plaint que son père a une maîtresse. Alors Freud au lieu d’accueillir sa plainte, de la soutenir dans cette épreuve de la découverte de la tromperie de son père, lui dit : « Pourquoi vous plaignez-vous de cela alors que vous vous occupez des enfants de la maîtresse de votre père permettant ainsi à celle-ci et à votre père d’être plus libres pour se rencontrer ! » Cette interprétation fait mouche : Pourquoi, en effet, contribue-t-elle, elle-même à ce dont elle se plaint. Question sur laquelle elle va poursuivre son analyse.